Certains
étaient faits pour les délicatesses de salon, d'autres pour la mécanique,
d'autres encore pour faire pousser des patates dans leurs champs. Tous se sont
retrouvés pataugeant dans la boue, trébuchant sur des cadavres dans des odeurs
de poudre et de charogne. Ils ont fêté leurs 26 ans, leurs 30 ans, leurs 40 ans
dans des trous à rats. Mais ils réalisaient quand même qu'ils vivaient là une
drôle d'époque... Moustache sous le nez et baïonnette au fusil, ils
embrochaient du "Boche" du matin au soir. A Verdun c'était la
sinistre spécialité.
Pour le reste
de leurs jours, les patriotes emmagasinaient des images comme au
cinématographe. A la place de la lune de miel, il y eut les tranchées. Au lieu
du repas de noces, on avait prévu de la viande de boucherie. Jusqu'à satiété.
Le festin fut indigeste mais mémorable. Certains en deviendront fous pour la
vie, sans avoir la moindre égratignure extérieure.
Des naïfs
avaient cru pouvoir bientôt se marier, avoir des enfants, faire pousser des
patates. Des idéalistes pensaient avoir une vie normale, ne souhaitant que se
fondre dans la masse, mener une existence honnête et anonyme. Des optimistes
prenaient la vie du bon côté,
n'imaginant rien de pire que la pluie qui tombe, ne demandant rien d'autre que
de couler des jours humbles et heureux. On leur a donné de la gueule cassée.
Pour le restant de leurs jours, une grimace pour tout visage. A leur chair
tendre et jeune, on a opposé l'acier des obus. C'était pour la France.
Quatre-vingts
ans après, ils nous rebattent les oreilles avec leurs souvenirs de la
"14". Ils ont aujourd'hui plus de cent ans, traînant leur gueule
cassée depuis quatre fois vingt ans et radotent, intarissables sur les
tranchées. La plupart se désolent d'avoir connu Verdun sous les obus. Il y en a
quand même qui sont demeurés patriotes. Quelques-uns haïssent toujours les
"Boches".
Une poignée
d'irréductibles centenaires seraient même prêts à remettre ça : la guerre rend
vraiment fou.
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